Une race, un spécialiste : 3. Le Dobermann vu par la cardiologue

Le Dobermann ou Dobermann Pinscher est une race de chien créée vers 1870, tirant
son nom du créateur de la race, Karl Friedrich Louis Dobermann. Initialement, il était
utilisé comme chien de travail (chien de garde, chien de police) pour sa fière
prestance et son caractère bien trempé. Actuellement il est devenu un chien de
compagnie, aimable, très attaché et gentil avec les enfants. Facile à éduquer, il est
sportif et a besoin de se dépenser, raison pour laquelle deux catégories de
disciplines officielles peuvent être pratiquées par ces excellents compagnons : des
disciplines avec mordant et des disciplines sans mordant.
Sélectionné pendant des années sur des traits en lien avec ses capacités sportives
et son apparence, il est malheureusement aujourd’hui prédisposé à différentes
maladies génétiques et notamment la myocardiopathie dilatée.

La myocardiopathie dilatée du Dobermann

La myocardiopathie dilatée (MCD) est une maladie primitive du myocarde (muscle
cardiaque), caractérisée par une altération de la contractilité. 1 La maladie touche le
plus souvent le myocarde du ventricule gauche qui s’atrophie et sa capacité
contractile (c’est-à-dire sa capacité à éjecter le sang dans l’aorte) diminue. Ce défaut
de « pompe » est à l’origine d’une dilatation du ventricule gauche, d’où le nom de la
maladie.
Les conséquences de la MCD sont diverses. La première conséquence de ce
défaut de « pompe » est une diminution de la quantité de sang éjectée par le
ventricule, d’où une baisse de l’oxygénation des différents tissus qui se traduit par
une intolérance à l’effort, une fatigabilité ou une faiblesse. D’autre part, le fait
que le cœur ne se contracte pas correctement est à l’origine d’une surcharge de
pression en amont, qui conduit à une accumulation de liquide dans le tissu
pulmonaire (œdème pulmonaire). Ce phénomène définit l’insuffisance cardiaque
congestive gauche. Lorsque le ventricule droit est touché par la maladie la
surcharge de pression en amont provoque la sortie de liquide vers les cavités (cavité
abdominale : ascite, cavité pleurale), ce qui définit l’insuffisance cardiaque
congestive droite. La MCD du Doberman est particulière car elle peut se caractériser
par l’apparition de troubles du rythme (ou arythmies), comme les extrasystoles
ventriculaires. Il s’agit de l’apparition dans le myocarde de zones de décharge
électrique supplémentaires qui peuvent imposer au cœur un travail plus fréquent et
plus rapide avec une fréquence cardiaque qui peut s’élever jusqu’à 250-300
battements par minute et induire la mort de l’animal. Ces troubles du rythme sont
diagnostiqués par électrocardiographie.
La prévalence de la MCD est variable mais reste plus importante dans les races de
grand format, notamment le Doberman. La prévalence de la MCD chez le
Dobermann aux Etats-Unis et au Canada est estimée entre 45 et 63%. 2 En Europe, la prévalence de la maladie chez le Doberman est de 58% 3 , avec une équivalence
entre l’atteinte des mâles et des femelles, mais une progression plus rapide de la
maladie chez les mâles. 3 La maladie se déclare le plus souvent chez l’animal jeune
adulte (entre 4 et 7 ans). 3,4 Elle peut cependant survenir chez le chiot de quelques
mois. 5
Les signes cliniques de la MCD dépendent du stade évolutif de la maladie. Au
début, l’animal peut être asymptomatique (absence de signes cliniques). Dans un
deuxième temps, une fatigabilité ou une intolérance à l’effort puis même au repos, ou
éventuellement des malaises peuvent apparaître. La maladie évolue et les signes
d’insuffisance cardiaque congestive apparaissent tels que l’œdème pulmonaire, se
manifestant par de la toux ou par une difficulté respiratoire (dyspnée) ou l'ascite. La forme rythmique de la MCD est caractérisée par la présence de troubles du rythme
pouvant survenir avant même l’altération de la contractilité cardiaque. Elle conduit à
des malaises (avec ou sans perte de connaissance) ou même à la mort brutale.
Le diagnostic de certitude de MCD se fait par la réalisation d’examens
complémentaires (échocardiographie, électrocardiographie [ECG], Holter…). Le
vétérinaire peut avoir une suspicion clinique de MCD lors de divers symptômes
(comme la toux, la dyspnée, les malaises, ou l’ascite) surtout s’ils sont associés à
des anomalies à l’auscultation (souffle cardiaque, arythmies). 1 Ces dernières ne sont
cependant présentes que chez 45% des Dobermans atteints. 6 Ainsi, une auscultation
cardiaque normale ne peut, en aucun cas, exclure l’hypothèse de MCD dans cette
race. L’examen de choix pour confirmer une baisse de la contractilité cardiaque reste
l’échocardiographie. Depuis plus de 20 ans, des recherches s’effectuent pour la
mise en place de nouveaux indices échocardiographiques qui aideraient à
diagnostiquer la MCD le plus précocement possible. Ainsi d’autres techniques
d’imagerie ultrasonore que l’échocardiographie standard (Doppler tissulaire,
Speckle Tracking Imaging) se sont développés. Le Doppler tissulaire a été
démontré comme étant plus précoce que l’échocardiographie conventionnelle pour
détecter une dysfonction myocardique à plusieurs reprises chez le chien. 7-9 D’autre
part, les troubles du rythme associés à la MCD sont diagnostiqués par l’ECG.
Cependant, n’étant pas des arythmies permanentes, les extrasystoles peuvent ne
pas être retrouvées sur un tracé ECG ponctuel (enregistré pendant quelques minutes
seulement). L’examen Holter, consistant à enregistrer l’activité électrique cardiaque
pendant 24 heures, permet de surmonter cet inconvénient. Il est particulièrement
recommandé chez les Dobermans intolérants à l’effort ou présentant des malaises.
Malheureusement, une fois déclarée, la MCD progresse souvent rapidement et il n’y
a pas de guérison complète possible. Il est conseillé de limiter l’exercice des chiens
atteints et de les faire suivre régulièrement chez un vétérinaire afin de prescrire le
traitement médical le plus approprié en fonction du stade clinique de la maladie. Le
traitement a pour but d’apporter une qualité de vie satisfaisante, en diminuant
l’importance des symptômes.
Le dépistage précoce reste la meilleure prévention de la MCD. 10 Un contrôle
échocardiographique (avec Holter) avant chaque saillie et/ou au moins une fois par
an est conseillé chez les reproducteurs. Le même contrôle devrait être réalisé à l’âge d’un an, puis au moins une fois par an, chez les chiens issus de lignées à risque. Les
Dobermans atteints de MCD devraient être exclus de la reproduction et les
propriétaires de leurs descendants devraient être informés à la fois de la maladie des
parents et de l’importance du suivi cardiovasculaire régulier de leurs animaux.

Par le Dr Vassiliki Gouni, spécialiste en cardiologie vétérinaire

Références :
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MD, Kienle RD eds. Small animal cardiovascular medicine. 2nd ed. St. Louis: MO
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2. O’Grady MR, Horne R. The prevalence of dilated cardiomyopathy in Dobermann
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3. Wess G, Schulze A, Butz V, Simak J, Killich M, Keller LJ, Maeurer J, Hartmann K.
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4. Calvert CA, Pickus CW, Jacobs GJ, Brown J. Signalment, survival, and
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5. Vollmar A, Fox PR, Meurs KM, Liu SK. Dilated cardiomyopathy in juvenile
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8. Chetboul V, Escriou C, Tessier D, Richard V, Pouchelon JL, Thibault H,
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