Complications iatrogènes cutanées de la dermatite atopique canine

Par les Drs Pascal Prélaud, Noëlle Cochet-Faivre, spécialistes en dermatologie vétérinaire, diplômés du collège européen de dermatologie vétérinaire et les Drs Amaury Briand et Sébastien Deleporte, résidents ECVD

Dues aux topiques non stéroïdiens

Les topiques non stéroïdiens provoquent moins d’effets secondaires que les dermocorticoïdes. Ils peuvent néanmoins s’avérer irritants ou contactants de façon transitoire ou définitive. C’est le cas de toutes les formes galéniques (lingette, shampooing, spray, crème, lotion, mousse, spot on…) et de tous les composants (conservateur, insecticide, antiseptique…). Cliniquement, on observe une aggravation de la dermatose lors d’application de topiques ou l’apparition d’un érythème généralisé lors de dermatite de contact à un shampooing.

Dermatite de contact allergique ou orthoergique

Les dermatites de contact sont rares chez le chien, mais peut-être sous-diagnostiquées faute de moyens simples de diagnostic de certitude (1, 2). En pratique les topiques les plus souvent incriminés sont les nettoyants et topiques auriculaires, les antiseptiques à base de chlorhexidine (et autrefois à base de peroxyde de benzoyl) et le tacrolimus.

L’irritation due à l’application de tacrolimus est très fréquente, mais transitoire (quelques jours). Par contre, une intolérance à un shampooing ou à des lingettes antiseptiques ou lavantes doit faire interrompre sa prescription.

Parakératose granulaire

La parakératose granulaire est une dermatose rare caractérisée cliniquement par l’apparition de lésions érythématosquameuses parfois fissurées sur des zones d’application de topiques, comme la région inguinale ou le dessous de la queue par exemple.

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Le diagnostic repose sur un examen histopathologique et le traitement sur le simple arrêt des applications topiques, éventuellement la prescription de rétinoïdes de synthèse (3).

Discoloration du pelage

Chez les animaux à poils clairs, les applications quotidiennes en spray de produits antiseptiques, comme la chlorhexidine, peuvent s’accompagner d’une coloration brune du pelage. Bien entendu, ceci est très fréquent avec les produits à base de povidone iodée.

Pyodermite post-toilettage

Des balnéation répétées avec macération (ex : chiens de montagne, Terre-Neuve) ou des shampooings à l’aide de produits contaminés peut provoquer une infection sévère par des bacilles Gram- (notamment Pseudomonas sp.). Il s’agit soit de prolifération bactérienne (BOG), soit de furonculoses douloureuses d’apparition brutales, parfois accompagnée d’un syndrome fébrile ou d’un sepsis. Leur prise en charge nécessite la réalisation d’un antibiogramme, d’une antiseptie locale agressive et d’une antibiothérapie associée à un traitement de la douleur par des AINS.

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Dues aux corticoïdes

Les effets secondaires d’une corticothérapie sont très nombreux (tableau).

Tableau : effets secondaires des corticoïdes

 

Organe Effets secondaires
Peau Alopécie, atrophie cutanée, calcinose, comédons

Infections bactériennes, fongiques et virales

Cicatrisation retardée

Muscles et système nerveux Amyotrophie, laxité ligamentaire, distension abdominale

Troubles du comportement

Tractus digestif Diarrhée et vomissement, polyphagie

Hépatomégalie, ulcères gastriques

Tractus urinaire Polyuropolydipsie, infections urinaires
Système endocrinien Hypothyroxinémie, hypocortisolisme, hypogonadisme (anestrus, atrophie testiculaire)

Hyperinsulinémie et insulinorésistance

Système respiratoire Essoufflement
Système vasculaire Hématomes par fragilisation capillaire

Thrombo-embolie

Système sanguin Neutrophilie, éosinopénie, lymphopénie

Anémie lors de saignements digestifs

Nous ne considèrerons ici que les effets secondaires de la corticothérapie sur la peau des chiens atopiques.

Alopécie

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Si une alopécie diffuse peut se développer lors de prescription au long cours, on peut

aussi observer des alopécies plus franches lors de l’utilisation abusive de topiques corticoïdes (surdosage). Sur la zone alopécique la peau est souvent atrophique ou non-élastique ou riche en comédons. Cette alopécie est due à une atrophie des follicules pileux et un arrêt du cycle pilaire. Sa disparition après arrêt de la corticothérapie peut être lente (plusieurs mois).

Atrophie cutanée

L’atrophie cutanée est signe souvent négligé dans le suivi des traitements topiques (ou par voie générale). Or au delà de l’aspect macroscopique, elle est le signe d’une peau atrophiée dont les moyens de défense sont très sensiblement diminués (ubi infra).

Infections

On a pu démontrer chez l’homme et dans des modèles murins que les glucocorticoïdes inhibent la synthèse des lipides épidermiques ainsi que la sécrétions des corps lamellaires. Par conséquent, même sous la forme de topiques, les corticoïdes peuvent aggraver les défauts de barrière cutanées et donc être à l’origine de phénomènes de rebond avec un risque accru d’infection.

Lors d’utilisation au long cours, les complications peuvent être bien plus graves avec le développement de pyodermites profondes pouvant évoluer vers un sepsis.

Calcinose

Une calcinose cutanée peut se développer lors de l’utilisation de topiques, mais plus souvent lors de corticothérapie systémique. Les lésions sont de petites papules blanches fermes entourées d’un érythème plus ou moins confluentes ou bien de véritables plaques sous-cutanées. Lors d’infection ces plaques sont prurgineuses. De telles lésions imposent un arrêt de toute corticothérapie. Les lésions rebelles peuvent être traitées par des applications de DMSO à condition de contrôler régulièrement la calcémie de l’animal (4).

calcinose

Pyodémodécie

Un syndrome de Cushing est une des rares causes connues de développement de démodécie de l’adulte. Il peut être iatrogène. Dans ce cas, la priorité est donnée au traitement de l’infection et de l’infection parasitaire. C’est la raison pour laquelle une tonte est incontournable chez animaux ayant pelage long ou mi-long, afin de faciliter les soins locaux et accélérer le contrôle de la pyodermite. Oclacitinib, corticoïdes et ciclosporine sont contre-indiqués.

Dues à la ciclsoporine ou à l’oclacitinib

L’utilisation au long cours de la ciclosporine peut s’accompagner d’effets indésirables cutanés. Ils sont rares et sans conséquences délétères (5)

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Chez l’homme l’hypertrichose est un effet secondaire très gênant que les greffés connaissent bien. Chez le chien, cet effet est peu gênant et pourrait même être parfois recherché. Toutefois chez les animaux de races à poils cours l’apparition d’un pelage bouclé peut changer radicalement l’aspect de l’animal. Cette hypertrichose est observée dans moins de 1% des cas (5).

Papillomatose virale

Tout comme les corticoïdes, les inhibiteurs des calcineurines et l’oclacitinib peuvent provoquer une extension de lésions virales cutanées (macules et plaques pigmentées) ou provoquer une poussée de papillomatose buccale. La facilitation de cette infection peut évoluer vers le développement de lésions verruqueuses plus ou moins étendues, voire de carcinomes épidermoïdes in situ.

Dermatite lichénoïde psoriasiforme

Cette dermatose de cause inconnue a été décrite chez trois chiens. Les signes se sont amendés à l’arrêt des prises de ciclosporine (6). A contrario, chez le cocker, les cas de dermatite lichénoïde psoriasiforme ne répondent qu’à l’administration de ciclosporine ou de corticoïdes.

Histiocytomes

Une étude a montré que le développement d’histiocytomes cutanés (bénins) est plus fréquent chez les chiens traités avec l’oclacitinib (14/533) qu’avec la ciclosporine (4/654), avec en moyenne une apparition au bout de 5 mois.

Dues aux traitements anti-infectieux

Infection par des germes résistants

Les pyodermites étant très fréquentes chez les chiens atopiques, les traitements antibiotiques sont chez certains animaux très fréquents et parfois longs. Même en suivant des règles de prescription empirique rigoureux (ex : pas de fluoroquinolones en première intention), le risque de développement de résistances est important. Par conséquent, on privilégie toujours l’association à des shampooings antiseptiques (ex : chlorhexidine), voire leur utilisation sans antibiotiques lorsque cela est possible. En effet, il est possible de contrôler une pyodermite superficielle et notamment une folliculite bactérienne en utilisant des soins antiseptiques, en alternant shampooings et sprays ou mousse à base de chlorhexidine (2 à 4%).

Allergies médicamenteuses et toxidermies

Contrairement à une idée reçue, les chiens atopiques ne sont pas prédisposés aux allergies médicamenteuses. Seuls les chiens allergiques aux produits laitiers ou aux protéines de la viande de bœuf pourraient présenter un risque accru d’allergie vaccinale (allergie aux résidus de sérum de veau fœtal issu des cultures cellulaires). Toutefois, il est préférable de limiter le recours à des antibiotiques connus pour leur fort pouvoir allergisant comme les sulfamides.

rt

  1. Ho KK, Campbell KL, Lavergne SN. Contact dermatitis: a comparative and translational review of the literature. Vet Dermatol. 2015;26:314-27.
  2. Olivry T, Prélaud P, Héripret D, Atlee BA. Allergic Contact dermatitis in the dog: principle and diagnosis. VetClinNAmer. 1990;20:1443-56.
  3. Prélaud P, Cochet-Faivre N, Degorce-Rubiales F, Poujade A, Rostaher A. A new canine skin disorder resembling granular parakeratosis: clinical and pathological features of three cases. Vet Dermatol. 2012;23(S1):74.
  4. Miller Jr WH, Griffin CE, Campbell KL. Muller & Kirl’s Small Animal Dermatology. 7th ed. St Louis: Elsevier; 2013.
  5. Nuttall T, Reece D, Roberts E. Life-long diseases need life-long treatment: long-term safety of ciclosporin in canine atopic dermatitis. Vet Rec. 2014;174 Suppl 2:3-12.
  6. Werner AH. Psoriasiform-lichenoid-like dermatosis in three dogs treated with microemulsified cyclosporine A. Journal of the American Veterinary Medical Association. 2003;223(7):1013-6.

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