Carcinome épidermoïde chez le chat

Par les Drs Sébastien Deleporte et Amaury Briand, résidents ECVD, Drs Pascal Prélaud, Noëlle Cochet-Faivre, spécialistes en dermatologie vétérinaire, diplômés du collège européen de dermatologie vétérinaire

 

Le Carcinome épidermoïde, est une tumeur cutanée maligne dont les cellules cancéreuses sont les kératinocytes. C’est la tumeur cutanée la plus fréquente chez le chat après le fibrosarcome.

Cette tumeur se présente sous 3 formes : 2 formes de carcinome épidermoïde in situ considérées comme précancéreuses (la kératose actinique (KA) et le carcinome in situ bowenoïde (CISB)) et la forme cancéreuse, le carcinome épidermoïde sensu stricto (CE).

Il est admis que la KA est une forme qui peut être induite par les ultraviolets, le CISB par un papillomavirus et que le CE est l’évolution des 2 autres formes, surtout de la KA

Cette tumeur, dans les formes avancées, est de pronostic sombre, mais une prise en charge précoce et adaptée, notamment sur les formes in situ ou sur les formes localisées, permet souvent une guérison complète ou une rémission longue.

La prise en charge passe d’abord par un diagnostic précoce, l’évaluation du pronostic et un traitement adapté pour un suivi optimal et l’élaboration de mesures préventives.

Diagnostic

Il est important de connaitre les caractéristiques des 3 formes (cf tableau I)

L’épidémiologie montre que les chats blancs ont 13 fois plus de risque de développer un CE que les autres chats. Certaines races semblent beaucoup moins touchées (siamois, persans et himalayens). Dans les régions ensoleillées, les risques sont accrus. On observe en effet que les CE représentent 15% des tumeurs cutanées dans les régions peu ensoleillées et jusqu’à 48% dans les régions fortement ensoleillées. Les CE sont observées dans la grande majorité des cas sur des chats âgés (>9ans)

Tableau I : différentes formes de carcinomes épidermoïdes

Signes cliniques Epidémiologie

/facteurs prédisposants

Remarques
KA Plaques hyperkératosiques ou papillomes (Fig 1), unique ou symétriques, de 0,3 à 1cm. lésion squameuse ou crouteuse, le plus souvent sur les oreilles, le nez et sur les paupières (Fig2) Chats blancs

 

Région ensoleillée

 

Chats d’extérieur

 

Chats âgés (9-14 ans)

 

pas de prédisposition de sexe ou de race

Formes multicentriques rares évaluées autour de 17% pour les formes multiples locales et encore plus rare pour les formes avec métastases

 

Forme digitée rare et souvent les métastases d’un carcinome pulmonaire primitif

 

Tumeur qui métastase rarement mais qui a une agressivité locale élevée avec perte de substance.

 

Formes précoces et agressives observées chez le Devon Rex (5à 8 ans et formes multicentriques et métastatiques) 3 cas publiés

CISB Plaques ou lésions verruqueuses multifocales, circulaires, crouteuses, hyperpigmentées de quelques millimètres à 2 cm, sur n’importe quelle localisation, qui incluent les zones poilues non exposées au soleil et les zones pigmentées (Fig 3, 4).

 

CE Érythème, croutes, et lésion érosive sur le planum nasal, les oreilles, paupières, autour des oreilles sur les zones peu ou pas pigmentée, et/ou peu poilues (Fig 5 à 8).

 

Le diagnostic différentiel inclut les dermatoses auto immunes (pemphigus, lupus cutané), les vascularites, les toxidermies, les dermatites allergiques (alimentaires, puces, aéroallergènes), les dermatohytoses, certaines extoparasitoses (gale, démodécie) et les autres tumeurs (plasmocytome, lymphome).

Les examens immédiats à réaliser cherchent essentiellement à exclure les autres causes (parasitose, autre tumeur). Un examen cytologique est un examen d’orientation très intéressant en cas de suspicion de carcinome épidermoïde puisque c’est une tumeur exfoliative. On réalise une ponction à l’aiguille fine ou une simple apposition de lame. On observe :

  • Des amas de cellules épithéliales à différenciation épidermoïde qui restent parfois collés les uns aux autres mais apparaissent le plus souvent sous forme d’éléments épidermoïdes isolés
  • Un examen cytologique généralement pléomorphe, avec une anisocytose et une anisocaryose, des cellules multinucléées, et des nucléoles de tailles différentes et parfois nombreux. Des grains de keratohyalines peuvent être présents autour du noyau. Une activité mitotique est présente
  • L’existence de koïlocytes (témoins de la présence de cirus).

Un examen histologique sur biopsie est indispensable pour le diagnostic définitif. Les biopsies sont réalisées, sur une lésion complète ou si la lésion est étendue, sur le bord de la lésion sur une zone non infectée.

Lors d’atteinte sur de multiples sites, plusieurs biopsies seront réalisées sur les différentes lésions afin de chercher les différents stades d’évolution.

Les caractéristiques histologiques des différentes formes de CE sont identiques à ce qu’on retrouve en cytologie c’est à dire des kératinocytes avec une anisocytose et une anisocaryose. Certaines cellules peuvent être multinucléées et on observe une activité mitotique.

Les carcinomes épidermoïdes se distinguent des carcinomes épidermoïdes in situ par l’envahissement du derme. Lors de KA ou de CISB la membrane basale et les cellules de la couche basale de l’épiderme ne sont pas atteintes.

Classement TNM[1]

Le classement TNM permet de statuer sur le niveau d’agressivité de la tumeur et d’orienter la prise en charge et le pronostic.

Classification TNM
Tumeur primitive Ganglions locaux régionaux Métastases à distance
Tis : carcinome in situ

T0 pas de tumeur mise en évidence

T1 tumeur <2cm

T2 : tumeur 2-5cm

T3 : >5cm ou invasion du tissu sous cutané

T4 : tumeur envahissant les autres structures (muscles, os, fascias, cartilages)

N0 : pas de ganglion atteint

N1 : ganglion ipsilatéral mobilisable atteint

N2 : ganglions mobilisables controlatéral ou bilatéraux atteints

N3 : ganglions atteints et non mobilisables

M0 : aucune métastase

M1 : présence de métastase

Pronostic

Le pronostic est directement dépendant du stade auquel la maladie est prise et du traitement mis en œuvre.

Dans les cas de carcinome in situ, l’évolution est possible vers une forme cancéreuse.

Chez le chat, une étude montre que 80% des SCC sont issus d’un AK et une autre que 17% des BISC évoluent vers un SCC.

Un chat non traité subit la plupart du temps une évolution agressive locale qui peut justifier l’euthanasie.

Les formes T1 et T2 sont d’un pronostic plutôt bon, des études montrant jusqu’à 85% de guérison avec une prise en charge adaptée.

Les formes T3, T4 et/ou N>0 et/ou M1 sont de pronostic beaucoup plus réservé.

Aucun marqueur biologique n’est utilisé en routine. Une étude sur l’immunomarquage de l’ERGF (Epidermal Growth Factor Receptor) donne un pronostic négatif en cas de marquage positif.

Traitement

Le tableau II résume les différentes options thérapeutiques.

Traitement Principe / dose remarques
Topique imiquimod Immunomodulateur avec effets anti tumoraux et anti viral

Application 3 fois par semaine avec des gants

Bonne réponse sur les formes in situ, T1, T2

Effets secondaires locaux : érythème et squamosis

Généraux : 1 cas avec augmentation des ALAT et neutropénie. Réversible à l’arrêt du traitement

Chimiothérapie in situ Carboplatine in situ Injection 4 fois à une semaine d’inervalle de carboplatine dilué dans de l’huile de sésame à 15mg/mL

Dose injectée : 0,1mL/cm3 de lésion

Aucun effet secondaire

Intérêt sur les formes T1, T2

Electro-chimiothérapie Injection intra lésionnel de bléomycine puis application d’un champs électrique Intérêt sur les formes T1, T2
Systémique Rétinoïdes de synthèse 13-cis-retinoide

10 à 20mg/chat

Effets peu concluants
mitoxantrone Réponse décevante
Anti COX-2 Action anti inflammatoire et anti douleur Manque d’étude
Chirurgicale Exerèse Traitement de choix

Otectomie, planectomie nasale, exérèse des paupières

Possibilité d’évaluer les marges

Limites : esthétique

cryochirurgie Aucune donnée sur le temps d’application.

Chez l’homme,

10’’ recommandée

Possibilité de le faire plusieurs fois

Indication sur Tis, T1 et T2 avec une bonne réponse

Difficulté d’apprécier les marges

Nécessite une anesthésie

Radiothérapie téléthérapie Irradiations par Orthovoltage, megavoltage et faisceaux de protons

en moyenne 40Gy sur 10 séances

Limite : disponibilité, cout

Intérêt esthétique

Effets secondaires peu importants : érythème cutané et inflammation des muqueuses

 

plésiothérapie Application de Strontium-90 localement Intérêt sur les lésions des paupières
Thérapie photo-dynamique Photosensibilisation + UV Injection IV ou application locale d’un photosensibilisant

Application d’UV adapté

Limite : profondeur d’action – plusieurs séances nécessaire – douleur

Dans tous les cas, le traitement doit être précoce et agressif.

Pour les formes qui ne sont pas in situ, il est nécessaire d’identifier la tumeur avec le classement TNM. Un scanner est indispensable (des lésions, des ganglions locaux régionaux et du thorax) et des éventuels ponctions ganglionnaires sont nécessaires.

Il ne faut pas perdre de vue que le meilleur traitement est le traitement disponible facilement.

De ce fait, le traitement de choix lors de carcinome épidermoïde en forme T1, T2, T3 ou T4 est le traitement chirurgical (en l’absence de possibilité de radiothérapie) (Fig 10 à 12).

Dans les études, on observe des médianes avant récidive (disease free interval DFI) et des médianes de survie supérieures à 2ans

La radiothérapie donne de bons résultats avec des rémissions jusqu’à 85% avec une tumeur T1-T2 et de 45% dans les formes T3-T4 (DFI > 1 an)

Un traitement associant radiothérapie et chimiothérapie in situ chez 6 chats a donné une réponse complète pendant 54 à 549 jours

Dans les formes in situ ou T1, T2 uniquement, les traitements hors chirurgie par exérèse peuvent être proposés :

  • Application d’imiquimod avec de très bons résultats, mais le traitement peut parfois être à répéter
  • Cryothérapie avec des études donnant des DFI de 9 à 26 mois
  • Photothérapie dynamique dont une étude montre une rémission dans 85% des cas et une DFI de 157 jours
  • Electrochimiothérapie. Une étude montre une rémission sur 7 chats sur 9
  • Injection in situ de carboplatine. Une étude montre une DFI de 16 mois.

Prévention

Il faut éviter l’exposition au soleil ou proposer l’utilisation de crème solaire

Pour les chats d’intérieur, il est possible d’utiliser des films filtrants les UV

Le tatouage, solution parfois proposée, n’a pas montré une diminution de l’incidence de carcinome épidermoïde.

Suivi

Un suivi régulier doit être proposé avec des contrôle locaux et locorégionaux. Une fréquence de contrôle tous les 3 mois semble adaptée la première année puis 2 fois par an en étant vigilant lors des périodes de fort ensoleillement.

Toute lésion, même discrète, doit faire l’objet d’une consultation.

Conclusion

Les carcinomes épidermoïdes sont les tumeurs cutanées les plus fréquente chez le chat. La prise en charge doit être précoce et agressive.

Elle passe par une reconnaissance des lésions de carcinomes in situ et la réalisation de biopsies dans tous les cas.

Les options thérapeutiques sont nombreuses. Le traitement chirurgical reste le traitement de choix (disponibilité, résultats). Les autres options thérapeutiques peuvent être envisagées lorsqu’elles sont disponibles ou lors de lésions peu agressives ou in situ.

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